Le jeu spontané: un moteur du développement de l’enfant

« Ce qui importe est de montrer que, quels que soient le lieu et la structuration des activités, l’enjeu est de soutenir les initiatives et les formes d’expression des enfants, de leur laisser du temps, de favoriser l’activité autonome. » (P. Camus et L. Marchal « Accueillir des enfants de 3 à 12ans: viser la qualité ; livret III » , un référentiel psychopédagogique pour des milieux d’accueils de qualité produit par l’ONE, 2007)

Mes premières expériences de terrain en tant qu’animateur mais aussi en tant que formateur au CJLg ont été riches d’apprentissages mais également riches en questionnement : comment favoriser une dynamique positive en centre de vacances ? Comment gérer les conflits qui peuvent survenir entre enfants ? Qu’est ce qu’une activité réussie ? Quelles activités manuelles créatives peuvent être proposées a de très jeunes enfants sans que cela ne devienne du simple bricolage ?…

A travers ces premières expériences, une question plus particulière m’a animé dans ces centres de vacances : comment favoriser le jeu spontané de l’enfant et comment l’encadrer de manière adéquate ?

Le jeu spontané est source d’apprentissage mais est également un facteur de motivation pour l’enfant qui en est le concepteur et le réalisateur. Il fait ce qu’il souhaite du début à la fin. Il tâtonne, découvre son environnement, manipule les objets, manipule les règles du jeu, voyage dans l’univers qu’il se crée au fur et à mesure, rentre ou non en interaction avec les autres, se prend en charge dans la réalisation des projets, voire des défis, qu’il se lance…en bref, il est le maître à bord du navire de ses désirs.

Ces jeux sont de mon point de vue importants pour l’enfant qui, dans le monde scolaire, n’a jamais réellement le choix de ses activités et doit jouer avec les contraintes et les règles qu’on lui impose. Ces moments ludiques d’apprentissage où l’enfant apprend à son propre rythme sans la contrainte d’un résultat à atteindre et sans la pression d’une évaluation, qu’elle soit formative ou certificative, doivent être proposés aux enfants dans le cadre des milieux d’accueil…mais comment ?

Afin d’illustrer mon propos, je me baserai sur trois situations que j’ai pu observer, soit en tant que formateur, soit en tant qu’animateur.

Lors d’une activité structurée proposée aux enfants, Marie et Sophie, les deux animatrices responsables de l’activité, proposent un véritable parcours dans ce qui pourrait être le plus grand bateau de pirate que l’enfant n’ait jamais vu. Dans ce parcours, nos moussaillons en herbe doivent grimper des échelles, passer en dessous de nombreux obstacles, descendre les toboggans vertigineux qui les emmènent tout droit dans les eaux tumultueuses… et tout à coup, un moussaillon du nom de Christophe décide de quitter cet entraînement à la piraterie et préfère se pendre aux cordes de son bateau sans passer en dessous des obstacles que Marie et Sophie avaient si bien mis en place ! Au bout d’une minute, Sophie décide de rappeler Christophe à l’ordre en lui demandant de bien vouloir rentrer pour poursuivre l’activité. Mais Christophe ne l’entend pas de cette oreille et refuse de rentrer, souhaitant toujours s’amuser sur les cordes…

Non loin de là, un autre animateur a en charge une activité où les enfants ont le libre choix de jeux spontanés dans le jardin dans lequel se trouve aussi un très grand module. Il décide de ne pas interférer dans le jeu des enfants et les laisse jouer à leur guise. Très vite, Pascal et Christopher se courent après dans le module. Une véritable chasse à l’homme est engagée entre nos deux joyeux compères qui s’amusent dans le rôle du policier à la poursuite du voleur. Un autre enfant semble s’amuser d’un seau rempli de pinces à linge en hauteur et s’amuse à le pousser et ensuite à l’éviter. Un enfant plus âgé marquant un intérêt pour le jeu qui vient d’être proposé finit par écarter le plus petit et se met à jouer à sa place. Pendant ce temps là, l’animateur est occupé avec plusieurs autres enfants qui lui ont proposé un balle- chasseur…

Lors d’une autre activité, Géraldine a en charge un groupe de très jeunes enfants prêts à devenir de futurs Picasso. Dans cette activité manuelle créative, Géraldine a demandé aux enfants d’imaginer à quoi ressemble l’endroit où le fabuleux trésor de Rackam a été enterré. Pour cela, ils ont à leur disposition des feuilles A4 blanches, des crayons soigneusement rangé dans un pot, des coquillages, des autocollants, etc…Dès le début de l’activité, Mélanie, 3 ans, n’a à sa disposition qu’un seul crayon de couleur dont elle abuse abondement, ses petits bras ne lui permettant pas d’accéder au pot de crayon situé au centre de la table. De son coté, Marc tente de coller les coquillages avec la colle qu’on lui a fournie mais cela ne fonctionne pas très bien. Pendant que Géraldine l’aide à trouver une solution, Mélanie s’amuse avec le pot de colle qui vient d’arriver jusqu’à elle…

Ces trois exemples inspirés de la réalité de terrain des centres de vacances posent questions en matière d’animation encadrée de manière adéquate pour favoriser le jeu spontané et la libre création. Dans le premier exemple, on peut se demander comment laisser la place aux jeux spontanés des enfants dans une activité très structurée ?

Dans le second, il invite à une réelle réflexion sur la position de l’animateur comme encadrant de ces activités spontanées. Comment ouvrir aux enfants des possibilités telles qu’ils aient le désir et la possibilité de créer, inventer, tenir le fil de leur activité et comment les soutenir dans leur proposition d’activité pour éviter que ces moments de richesse où l’enfant à l’occasion de s’exprimer, de tester, de découvrir ne deviennent des moments où la curiosité de l’enfant se transforme en véritable désintérêt voire ennui ?

Toutes ces observations, ces questionnements, ces réflexions à la fois individuelle et en groupe et les lectures théoriques sur le sujet de l’accueil m’ont permis de dégager certaines pistes qui pourraient être intéressantes pour l’encadrement de ce genre d’activités ;

– Mettre en place un cadre sécurisant

Pour être autonome, l’enfant a avant tout besoin d’être dans un cadre où il se sent en sécurité, où il peut se développer à son propre rythme, où il peut s’essayer à diverses activités sans avoir peur d’être jugé. Le rôle de l’animateur dans ce contexte est de mettre en place un cadre de vie, de fonctionnement, de règles où l’enfant pourra apprendre, jouer, partager avec les autres dans le respect de chacun et des limites fixées. Ce cadre sécurisant se travaille aussi dès les premiers pas de l’enfant dans le milieu d’accueil. Il est important de montrer à l’enfant qu’il est attendu, qu’il y a une place qui l’attend. Une première visite des lieux permet à l’enfant de découvrir le cadre de vie Il est important également que l’enfant sache dès le départ qui est cet inconnu qui a trois têtes de plus que lui et qui l’accueille avec un large sourire. Ce cadre peut et doit enfin être travaillé à travers les différents moments de la vie collective (comme lors des repas, lors des couchers ou lors de conseils mis en place pour laisser l’enfant s’exprimer) mais également à travers les moments plus individuels (soins apportés à l’enfant, les moments de douche,…).

– Planifier, oui mais avec des zones d’incertitudes nécessaires

Il importe lorsque l’animateur prépare une activité que celle-ci ait une bonne base mais laisse le temps aux enfants. Le même constat est à faire sur la préparation d’une journée entière d’animation. Une journée trop structurée que l’on doit suivre à la minute ne permet pas de s’ouvrir aux imprévus riches d’expériences et d’apprentissages pour l’enfant comme pour l’adulte.

– Faire le deuil de l’activité telle qu’on l’avait imaginée

Lorsque nous pensons une activité et que nous mettons en place plusieurs éléments (décors, déguisements, création d’un parcours,…) pour que celle-ci soit la plus ludique possible, il est fréquent de s’imaginer comment celle-ci se déroulera. Du coup, chaque chose qui ne se passe pas comme nous l’avions prévu (l’exemple du moussaillon Christophe) peut se révéler source de frustration pour l’animateur qui peut penser que son activité est un échec car l’enfant n’a pas suivi les consignes qu’il lui avait donné et qu’en plus il ne semblait pas intéressé par le beau parcours soigneusement préparé. Mais l’objectif de l’activité, qu’elle se déroule comme nous l’avions prévu ou non, n’est-il pas le plaisir de l’enfant, la découverte de ses potentialités et la recherche de son autonomie ? Christophe ne s’est-il pas amusé en se prenant pour un véritable pirate qui lors des grands tumultes de la flotte doit s’accrocher à tout prix aux cordages pour ne pas tomber à l’eau ? N’a-t-il pas pu expérimenter par lui-même sa résistance aux grands vents et n’a-t-il pas pu constater qu’il était capable de tenir plus longtemps aux cordages du grand navire quand il croisait ses jambes autour du cordage ?

– Proposer un cadre adéquat où l’enfant a à sa disposition le matériel et les matériaux nécessaires pour sa création

Lors de toutes préparations d’activités, il est important de les réfléchir dans un certain cadre. Pour tel ou tel jeu, quel est l’endroit qui me semble le plus adéquat et le plus stimulant ? Pour telle activité créative manuelle, de quels matériaux et matériel vais-je avoir besoin ? Comment dois-je disposer ceux-ci ? Comment disposer les enfants pour que je puisse être présent sans les interrompre constamment, avoir un regard sur chaque pour savoir répondre au bon moment à d’éventuelles demandes ou à certains décrochages ?

– Observer les enfants

C’est en observant les enfants dans leurs jeux, dans leurs actions que l’animateur peut comprendre le sens qu’elles ont pour eux et intervenir de manière adéquate sans interférer pour valoriser ces comportements et ajuster l’environnement matériel si nécessaire.

De plus, ces observations sont parfois révélatrices des intérêts des enfants et peuvent suggérer des activités ultérieures pour l’animateur. Par exemple, lors d’un centre de vacances, certains enfants témoignaient d’un réel enthousiasme pour l’observation des escargots. Ce filon observé dans des jeux spontanés et des moments creux a permis aux animateurs de proposer aux enfants une activité de découverte de l’escargot et également de proposer un grand jeu avec un décorum centré sur les escargots.

– Jouer avec eux s’ils en témoignent l’envie

L’animateur, en contexte de jeu spontané se doit avant tout d’être observateur de la situation. Lorsque l’enfant témoigne un intérêt à ce que l’adulte participe, l’animateur peut se révéler un moteur à l’action de l’enfant. Il ne faut cependant pas oublier qu’il importe avant tout de faire avec l’enfant et non pas faire à la place de l’enfant !

Conclusion

C’est de l’expérience qu’est née cette réflexion sur la nécessité de bien réfléchir sa pratique par rapport à l’enfant. Cette réflexion engage une vision sur la nécessité de professionnaliser le métier de l’animation. Etre animateur ne s’improvise pas pour citer certains de mes collègues et je partage tout à fait cet avis. Tout adulte qui encadre des enfants, aussi bien dans le monde extrascolaire que scolaire, se doit d’adopter des attitudes professionnelles. Comment répondre aux besoins des enfants si nous ne connaissons pas ces besoins ? Comment réagir adéquatement à une gestion conflictuelle de l’enfant si préalablement nous n’avons pas été éveillé au monde de l’enfant en construction, en recherche d’identité ? Comment favoriser le jeu spontané si l’on ne nous a pas appris que celui-ci naît d’un lien entre l’enfant et l’adulte ? Beaucoup de questions, beaucoup de nouvelles situations, tout un monde de richesses s’ouvre à nous, animateurs en centre de vacances. Nourrissons-nous de ces expériences et ne les enfermons pas une bonne fois pour toute après les avoir vécues ! Un professionnel de l’accueil restera avant tout un professionnel qui continue à apprendre de ses expériences, qui continue à penser que son rôle est important dans la construction de l’enfant, qui continue à s’émerveiller dans l’observation des enfants et qui continue à remettre en cause ses pratiques.

Raphaël Simonis, ancien animateur-formateur au CJLg