Gloire à la glande !
Petit plaidoyer pour le droit de ne rien faire
Manon DUBOIS, chargée de projets au CJLg
Aujourd’hui, dès sa petite enfance, l’humain est gavé. Gavé d’images, de sons, d’informations, de biens matériels, d’activités multiples. On se méfie de l’ennui, de l’inactivité, qui sont perçus comme contre-productifs. Pourtant, à l’adolescence notamment, ces « temps morts » s’avèrent indispensables pour notre bon développement…
Si vous avez moins de 18 ans, vous faites partie de la génération née au XXIe siècle. Un siècle où la surconsommation et la compétitivité sont reines. Un siècle synonyme de burn-out aussi. Notre société actuelle semble avoir un besoin existentiel d’ « avoir » et de « faire » des choses, avec souvent des conséquences désastreuses sur notre bien-« être ».
Depuis le berceau, on est en quelque sorte drogué. D’abord dépendant de nos parents, la plupart s’en détache dès les premiers signes de puberté. Sous ses apparences de liberté et d’indépendance, ce sevrage ouvre pourtant souvent la voie vers de nouvelles addictions : aux écrans, à l’alcool, au tabac, aux jeux, aux achats,… Difficile de résister lorsque tout autour de soi nous y encourage.
Du temps « plein » au temps libre
La frustration et le manque sont devenus blasphèmes. La norme est à la boulimie, au « plein » : remplir son corps, son esprit, sa maison de choses généralement superflues. C’est pourquoi, quand on traîne entre potes ou dans sa chambre, quand on s’ennuie ou quand on ne fait rien, nos parents s’inquiètent. Ils ont peur du « vide ». Ils nous croient asociaux, fainéants, voire dépressifs ou délinquants.
Les psychologues l’affirment pourtant : il est important pour un individu en développement d’avoir des moments où il ne fait « rien ». Il est donc du devoir des parents de respecter ces moments et d’en comprendre l’utilité. Car, pour parler avec les termes de notre époque, ne rien faire est rentable !
Les vertus de l’ennui
Il est essentiel que nos parents nous laissent apprivoiser l’ennui, ce dès le plus jeune âge. Lorsqu’ils résistent à la tentation de nous occuper quand on glande et que, de notre côté, on résiste à la tentation de scroller ou de regarder la télévision, on se retrouve face à nous-mêmes. Après un temps à ne pas savoir quoi faire, on se met à penser, à rêver, à réfléchir ou, si on est entre amis, à discuter, parfois pendant des heures. On se projette dans l’avenir, on s’interroge sur la vie, sur nos envies. Des idées émergent, nos opinions se forgent.
Ce face-à-face avec soi est d’autant plus important qu’il nous apprend à rester seul-e et à ne pas être trop dépendant-e des autres, de leur présence comme de leur avis. Même si le fait de côtoyer d’autres personnes participe également – et évidemment – à notre évolution !
Au fond, l’ennui permet à la fois de se découvrir et de se construire, mais il éveille aussi nos aptitudes créatives et réflexives. On retrouve l’espace que nos parents n’osaient franchir quand on s’inventait des histoires avec nos jouets d’enfant. Les jouets ont disparu, mais on a conservé ce besoin de créer des histoires, la nôtre cette fois-ci.
Source : Marinopoulos, S., Les trésors de l’ennui, Temps d’arrêt, Yapaka, novembre 2017